Ta dernière lettre me laisse un peu perplexe.
Pour la première fois, depuis que je te connais, tu arrives
enfin à exprimer ta rage envers moi. Au début, je ne voulais plus
t'écrire. Après j’ai pensé au pire.
Ce que je ressens envers toi, ne me laisse plus tranquille. Je
déteste tout ce que tu représentes, pourtant je vire folle à l’idée que je ne
pourrais peut-être plus jamais glisser ma main dans la tiédeur de ton corps. Je pourrais mourir
uniquement à l’idée que ton odeur oserait un jour disparaitre à jamais de ma
mémoire.
Ce que je ressens envers toi ne s’explique pas en langage
humain. Il faut inventer des mots, en couper certains, remodeler des phrases,
passer de nouvelles lois, chercher, oublier, rééduquer, reformater,
retransmettre, renouveler, réimprimer des idées. Il faut patienter, expliquer,
accepter, endurer les insultes, survivre les sanctions.
Il faut persévérer
Il faut rêver un peu
Il faut imaginer le monde sans châtiments
Il faut relire Socrate à reculons, en dansant de temps en
temps.
Il faut savoir malmener les petits voisins d’en haut qui ne
descendront jamais dans la rue pour manifester
Il faut tuer l’autre qui dérange, qui ne laisse pas, qui
regarde sournoisement cette conversation
Il faut pouvoir briser la peur qui paralyse
Il faut aussi arrêter le train sans raison au risque de
payer une amende énorme
Il faut s’assurer que l’arbre planté au coin de la rue sera
toujours là chaque lendemain pour abriter ce qu’on ne désire pas exposer
Il faut repenser les routes qui mènent vers des zones
infranchissables
Il faut aussi voir combien de gens souffriront à la fin
Il faut garder l’accès à son propre corps ouvert à des
expériences inconcevables
Il faut savoir laisser le sang couler pour réchauffer la
froideur de l’autre
Il faut pouvoir vivre avec l’incertain
Il faut arrêter de jouer à la maman
Il faut casser tout ce qu’il y a autour
Il faut laisser pleurer son vagin
Faire le deuil de son corps
J'ai une envie atroce de te larguer au mur, graver tes
formes dans la boue et reposer mes mains endoloris dans la moiteur de tes
traces incandescentes. Mais je me renferme. Les livres réapparaissent comme par
miracle dans un coin sombre de ma bibliothèque. Tout n’est pas perdu au fait.
Il reste encore les quelques lettres et une photo qui raconte tout. Tout ce que
tu ne veux pas. Cette photo je peux soudain la perdre. Par mégarde je peux un
jour la laisser tomber dans le fleuve Saint-Laurent. Et tout sera fini pour
nous à jamais. Mais je me retiens. Je laisse la souffrance durer. J’aime bien.
Ca me garde en vie. Je veille sur cette image de nous. Je protège les détails.
Ces détails sont importants. Ils relatent l’histoire en tranche et en
diagonale. Ils inspirent la confiance. Ils se tiennent compagnie. Ils peuvent
détruire ton monde. Le monde que tu détiens du bout des doigts. Je laisse
tomber la photo et tout dégringole. Tout se perd pour toi. Mais tout sauf
peut-être l’espoir de nous. La photo est là devant moi. Je l’aime tant cette
photo. Elle raconte une histoire que j’aime bien. Elle parle d’une fille. Cette
fille est là. Elle m’attend. Elle ne veut pas. Cette histoire est triste. Elle
a brulé les étapes mais elle s’est ressaisie au bon moment, juste à temps,
avant que la photo ne tombe à l’eau.
J’ai erré ce soir, seule, dans ces rues que je connais à
peine, au rythme de ces gens étrangers. Dans cette ville ou tout est
retravaillé, ou tout peut d’un seul coup, succomber.
La photo est là. Elle attend. Et moi je fais un tour,
j’essaye de replacer mes livres au bon endroit.
J’écris comme une rescapée affolée.
J’écris pour faire durer le temps. Ces quelques lignes tu
les liras à travers. Google translate ne suffit plus pour vraiment comprendre
ce que j’ai envie de te dire. Mais
je me contente pour le moment.
A bientôt,
B.
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