Il faut commencer de la dernière page. Attendre un
petit peu que la tristesse et l’ennui passent.
Il faut tout lire à travers la tasse de café posée sur la petite commode, près
de mon lit, pendant que Fairuz chante.
Je ne résisterai plus pour longtemps. La vie ne me
suffit plus, elle ne peut plus me retenir, me saisir. Les années filent et je
demeure silencieuse.
Je disparais au fil des jours.
Personne n’aperçoit cette disparition pénible et
écrasante.
J’aurais dû tout laisser et quitter cette terre, où
je n’arrive pas à poser les pieds à tes côtés.
Cette terre devient de plus en
plus difficile à retenir dans mes entrailles. Cette terre anéantit l’amour que
je garde pour toi, et qui ne laisse pas la place à une autre.
Je suis seule, pourtant mon inbox risque d'éclater sous la lourdeur de 1230 lettres non-ouvertes.
J’ouvre mon compte et ne réussit pas à les effacer.
Je n’ai plus envie de communiquer.
Je suis épuisée. Je cède.
Pourtant je me réveille chaque matin, je sors du
lit, lave mon visage, m’habille proprement, sors dans la rue, souris aux
passants, rencontre les gens qui me posent beaucoup de questions et auxquelles
ils répondent aussitôt.
J’écris cette lettre et la fatigue me saisit en
plein milieu. J’arrête un peu. Je regarde ces arbres autour de moi, dans ce
jardin familier et silencieux.
Je n’ai plus envie… depuis longtemps.
J’enlève mes sandales et marche pieds nus dans la
terre encore humide. Les petits cailloux me font mal, agressent la chair
enfouie dans cette multitude de désespoir.
Le seul bonheur est que je ne veux plus, je ne
désire plus.
Les livres empilés restent à côté de mon lit. Je
pose des fois un regard tendre sur eux à mon réveil. Ils ne correspondent plus
à ma réalité et je n’ai plus le courage d’écrire le mien.
Aliénée dans ma propre chambre, j’allume une
cigarette et observe tranquillement cette fumée se faufiler dans ce vide surpeuplé
de toutes ces idées qui blessent.
Je ne dis plus rien, je ne me plains plus. Je suspends…
Je suis épuisée d’être courageuse. Je ne sais plus
combien de temps je peux tenir encore, avant de sombrer dans la folie.
J’ai gardé quelques lettres dans mon tiroir. J’y
retournerai de temps en temps pour les lire et me rassurer que tout était réel,
que notre rencontre a eu lieu.
Toutes ces histoires restent dans mon corps et
vieillissent dans les plis de ma chair qui elle, relâche doucement avec l’âge.
Je transmets les écrits dans le keofteh que je
pétris vigoureusement avec mes mains furieuses. Les pages blanches ne suffisent
plus pour révéler toutes les émotions. La viande hachée
crue que je serre fort entre mes doigts, dans ce bol en métal, devient le
témoin de toute cette angoisse et rage qui débordent silencieusement. Des
larmes explosives que je laisse couler dans le bulghur pour la rendre toute
molle et facile à digérer.
Je n’ai plus
de tes nouvelles depuis plusieurs mois, peut-être même des années.
Tes lettres, je commence à les imaginer, à me les
écrire pour réconforter mon âme qui n’a plus envie de rien.
Je ne sais plus si tu existes vraiment, si tu
existes en moi ou dans l’autre qui n’existe pas, qui parle à peine, qui a perdu
la voix, qui aurait pu mais n’a pas pu ou voulu.
J’embrasse tendrement tes yeux et respire follement
l’odeur de la douce sueur derrière ton cou.
B.
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