Je compte les instants imprimés dans tes
paroles. J’aimerais bien allonger ces moments rares de bonheur.
Enfant, j’avais une fascination inouïe pour
les anciens cimetières. Là où le temps s’arrêtait.
Je restais des heures à les contempler, ces
morts enterrés dans des caveaux funéraires à tiroirs.
La guerre faisait ravage et nous les
enfants, reconstruisions des réalités nouvelles entre ces cryptes mystiques, à
l’ombre des pins.
Seule, Je fonçais mes doigts à travers les
crevasses des cercueils en bois.
Je tirais les cheveux de la défunte pour
les toucher. Mes mains étaient sales, pleines de sang et de souillure.
Ces cheveux, je les gardais entremêlés
entre mes doigts, pour ressusciter l’image de cet homme.
Celui qui avait envahi, de son corps répugnant.
Je roulais entre mes doigts les cheveux de la défunte pour
reconstruire son visage, ce regard dégoutant
Ressentir cette haleine morbide
Pour ne jamais oublier,
Oublier, c’est nier la plaie
c’est sombrer dans la folie
éternelle dont on ne revient jamais.
Les cheveux s’étalaient doucement sur mes
cuisses afin de sécher le sang brulant, dégoulinant entre mes jambes.
Et je ne pleurais pas
Le médecin, plus tard, avec
son toucher envahissant, et sous le regard détestablement indulgent de maman, a
encore une fois ouvert cette blessure géante qu’était devenu mon vagin
impubère.
Il aurait fallu abandonner les non-dits
pour pouvoir continuer à respirer dans cet univers. Mais les silences creusent
une peine encore plus profonde, là au fond, dans cet intérieur qui n’a pas de
nom, qui n’a pas de fond.
L’aliénation devient la norme.
Les dépouilles des défunts rassurent,
apaisent le mal ressenti momentanément.
Mais cette peine ressurgit, très soudain, à travers les dalans des immeubles soviétiques.
Cette langue étrangère me protègerait-elle encore longtemps dans cette ville où elle n’est pas comprise?
Je t’écris
Tu lis
Tu écris
Je lis
infiniment
sans répondre
Tu écris
Je lis
Je t’écris
Tu lis
ce silence est atroce
B.