Toutes les choses que j’ai envie de dire
restent coincées dans les paraphrases. Je sillonne les rues à contre sens. Des
pas irréversibles m’entrainent méchamment vers le haut des toitures en ruines
de cette ville qui s’efface.
Mon corps disparait dans les revers du politicien en costume noir et
blanc, bien repassé.
Il faudrait une éternité pour me détacher
de ce familier dérangeant.
L’autre en moi se promène librement. Éprise
de cette liberté exclue, elle se permet des
débauches artsakhiennes. Il faut se remettre de cette raideur
impromptue.
L’ami de V. ne veut plus lire mes
écrits. V. est insatiable, elle recoud patiemment les pages détachées de
l’œuvre final, malgré l’odeur atroce qui s’en dégage. Je déteste mes mots. Je
les efface régulièrement. Ça fait tellement mal, ces mots jaillis de ce vagin assassiné.
Quand le sang commence à couler, tout chaud,
là entre les jambes, je m’assois tranquillement dans ce coin doux de la cuisine.
La soupe bouillonne, le manti est près. Gentiment, j’enfonce mes doigts au fin
fond de l’incurable, la vulve fracassée laisse ressortir ma main rouge de
plaisir et d’angoisse. Mes doigts, ravivés de ce sang, dessinent sur cette feuille blanche ce que mes
entrailles ont peur d’avouer. Le sang dégouline de cette page si mince. Je
laisse couler sur le parterre, en dessous mes pieds. Je me glisse doucement sur
ce liquide savoureux et ferme les yeux pour un moment éternel et hume, avec une
jouissance intense, cette odeur apaisante.
Les mots glissent entre mes jambes, parfois
en hâte, entortillés de rancune et d’angoisse, souvent timides, s’excusant sans
cesse au passage.
La page ne peut contenir toute la lourdeur
de ce sang féminin – le flot se répand indéfiniment sur le sol, encore et
encore, avide d’occuper le terrain en entier.
Par la fenêtre, tout semble si triste
soudain.
Tu sembles si lointaine. Ton absence me
brise. Je ne sais plus ce qui m’anéantit le plus : exister à tes côtés ou
vivre sans te sentir.
Il n’y a plus de retour.
Écrire dans ce vide intolérable.
Tes lettres restent intactes
J’existe sans toi
J’existe à part toi
J’existe malgré toi
Le manti est tout chaud dans la soupe à yogourt,
prêt à manger. La menthe est de rigueur. Je me lève, suce les dernières gouttes
de ce sang débordé et plonge deux doigts dans le sumac.
Il faudrait prévoir ces excès d’écriture
sanguinaire.
B.
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