Les envolées prennent du temps à se
concrétiser. Il faut élaborer le plan de départ. Il faut annuler les excès de
dernière minute. Il faut savoir se réjouir au bon moment sans prétention. Et le
moment venu, il faut pouvoir lâcher tout et recommencer les préparations,
doucement, sans secousse, sans intervention inutile.
Le temps résout rarement les choses. C’est ce qu’on se dit quand on n’a plus de
réponses à ces questions malsaines.
Ce corps que j’ai scruté dans ce miroir a
vieilli tellement. Rien n’est à sa place habituelle. On dirait qu’un
tremblement de terre a fracassé cette masse de chaire et d’os. Tout lâche en dégout.
Tout tremble et gigote à chaque mouvement. Rien ne tient debout seul sans le
synthétique élastique. Il est souvent
difficile d’aimer avec ce corps démoli.
Il suffit le toucher de l’autre pour
réaliser à quel point ce corps se referme, s’étrangle et suffoque.
Tu ne comprendras jamais. Tu n’as jamais
essayé de relever ce défi. Tu as préféré jouer le jeu; être la femme au vagin
envahi.
J’ai passé de longues heures, devant ce miroir à
inspecter patiemment les recoins endommagés; à étirer, à pincer, à tordre, à
éloigner, à enfoncer. Rien à faire. Je déteste ce corps que je n’ai pas appris à
aimer. Je déteste ce miroir et cette image distordue.
Ce corps endommagé a refusé la maternité, a
refusé de plaire, a refusé de se soumettre. Alors il est devenu invisible,
ignoré, incompris, bon à rien.
Ces jambes maigres, difformes – ces pieds
terribles qui errent dans des recoins impensables. J’essaye de les cacher
derrière ces livres que j’invente sans cesse. Ces mains qui ne suivent plus
l’ordre de mes pensées, qui mènent leur propre politique à l’encontre de mes
résistances.
J’ai appris à trainer mes solitudes à
travers le monde, à travers mes amours, à travers mes écritures.
En dessous de mon lit, git la mémoire de grand-mère.
Je la garde en surplus, je la garde comme faveur, je décide finalement de
sourire, d’un sourire malsain. Je fais semblant que tout cela est important. Je
crains un changement durable – je me protège de la durée imprévisible des
choses. Rien ne compte parfois. Il faut savoir expérimenter la mort –
recueillir les témoignages en voie de disparition.
Il y a une certaine tranquillité à observer
les morts.
B.
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